Propos recueillis par Renaud MARIDET magazine VIVRE, mars 2023.
S’administrer soi-même une chimiothérapie, à la maison, comme le font les diabétiques avec l’insuline ? Ce sera peut-être bientôt possible, grâce à un nouveau procédé aujourd’hui encore au stade expérimental, mais qui pourrait à terme permettre aux patients atteints de cancer de s’administrer le traitement par voie sous-cutanée.
La majeure partie des chimiothérapies est administrée par voie intraveineuse, ce qui présente un certain nombre d’inconvénients. Il s’agit, en effet, d’un mode d’administration inconfortable et coûteux, puisqu’il requiert l’hospitalisation du patient, un protocole thérapeutique, et une prise en charge par un personnel qualifié.
Une équipe du CNRS a donc imaginé une solution innovante pour remédier à ces contraintes : l’administration des chimiothérapies par voie sous-cutanée.
Il a fallu, pour cela, résoudre deux problèmes de taille. Le premier, c’est la toxicité des molécules utilisées en chimiothérapie. Elles sont dites « irritantes » ou « vésicantes » : au contact des tissus elles provoquent des ulcérations et des nécroses, ce qui peut occasionner des lésions dermatologiques dans le cadre d’une injection sous cutanée.
Le second problème, c’est leur faible solubilité dans l’eau, qui aggrave le problème précédent, puisque les molécules de chimiothérapie ont tendance à stagner au point d’injection plutôt que de diffuser dans les petits vaisseaux sanguins sous la peau, passage obligatoire pour atteindre leur cible dans l’organisme. Il a donc fallu trouver un moyen de transport pour ces molécules : Un polymère vinylique, le polyacrylamide. Nous avons passé en revues plusieurs polymères, et notre choix s’est porté sur celui-ci, qui est bien connu, puisqu’il est largement utilisé en cosmétique et en recherche médicale, souligne Julien NICOLAS, directeur de recherche. Il est très hydrophile c’est-à-dire très soluble dans l’eau, il est biocompatible, et il est très facile à utiliser.


Le principe est simple : coupler les molécules de chimiothérapie au polyacrylamide pour les transporter du tissu sous-cutané jusqu’au système sanguin, ce qui les amènera ensuite jusqu’à leur cible. Ce procédé a été testé avec succès chez la souris, en associant le polyacrylamide au Taxol, l’une des molécules de chimiothérapie les moins solubles, indiquées dans différents types de cancer, et notamment le cancer du sein.
Reste désormais à tester l’association polyacrylamide / chimiothérapie chez l’homme, ce qui nécessite des fonds importants. Pour en récolter, l’équipe du CNRS a créé une start-up, IMESCIA, qui a pu lever 1 million d’euros pour accélérer le développement préclinique. Nous cherchons aujourd’hui à lever 2,5 millions d’euros pour pouvoir commencer les essais cliniques en 2024 indique Julien NICOLAS. La start-up recherche également des partenaires industriels pour les aider à administrer leurs molécules sous-cutanées. Elle développe aujourd’hui une nouvelle chimiothérapie pour une indication placée sous le sceau du secret industriel, mais à terme, ce sont tous les cancers traités par chimiothérapie qui pourrait être concernés par ce nouveau mode d’administration. Quant aux patients, ils pourraient bénéficier de ce traitement à domicile, avec la visite d’une infirmière, ou même en se l’auto-administrant.
Injectés par intraveineuse, la chimiothérapie parvient rapidement à une concentration élevée dans l’organisme. L’injection de ces molécules ne doit pas dépasser certaines doses, au-delà de laquelle elle serait toxique. Mais cette dose maximale est parfois inférieure à celle qui serait nécessaire pour combattre le cancer le plus efficacement possible. Dans le cadre d’une injection pour cutanée, en association avec le polyacrylamide, ces molécules sont au contraire relarguées progressivement et atteignent des concentrations bien moindres, ce qui permet de délivrer une dose élevée, mais mieux répartie dans le temps. Dans les conditions des tests menés par le site du CNRS, l’efficacité de la chimiothérapie a ainsi pu être multipliée par trois.
En outre l’administration par voie sous-cutanée est bien plus confortable et moins coûteuse que par intraveineuse et peut se révéler plus efficace pour combattre le cancer.