Avec l’immunothérapie du cancer la recherche appliquée récompensée

Moins de 20 ans après sa découverte, et à peine 7 ans après sa mise sur le marché officielle, l’immunothérapie appliquée au cancer vaut déjà un prix Nobel aux deux chercheurs à l’origine de sa découverte : James ALLISON et Tasuku HONJO. C’est l’aboutissement d’une aventure commencée en 1987… Dans un laboratoire marseillais.

Après le renouvellement cellulaire en 2016 et le rythme circadien en 2017, le comité Nobel a récompensé cette année des recherches plus proches de l’application clinique.

Les travaux de James ALLISON et Tasuku HONJO sur l’immunothérapie sont à l’origine d’évolutions récentes et décisives dans la prise en charge des mélanomes et d’autres cancers.

En mettant respectivement au point les anticorps monoclonaux anti CTLA-4 et anti-PD-1, l’américain James ALLISON, titulaire de la chaire du département d’immunologie de l’université du Texas, et le japonais Tasuku HONJO, de l’université de Kyoto, ont en effet créé une nouvelle approche du traitement du cancer : la mobilisation du système immunitaire contre les cellules tumorales.

 Tasuka HONJO et James ALLISON, Prix Nobel de médecine 2018

Cette reconnaissance, très attendue en oncologie, devrait attirer encore plus l’attention sur l’immunothérapie, même si beaucoup de recherches lui sont déjà consacrées

Pr Caroline ROBERT oncologue, Gustave Roussy

Cette idée avait déjà été proposée une première fois par l’allemand Paul EHRLICH, co-lauréat du prix Nobel de médecine de 1908. Le Pr James ALLISON n’hésite d’ailleurs pas à qualifier son travail et celui de Tasuku HONJO de «renaissance de l’immunothérapie ».

Tout commence à Marseille

La découverte du CTLA-4 n’est pourtant pas attribuable à James ALLISON pour autant. Il faut rendre à César ce qui est à César, voire à Marius ce qui est à Fanny, puisque c’est à Marseille que ce récepteur situé sur les lymphocytes T est mis en évidence pour la première fois en 1987, par l’équipe de Pierre GOLSTEIN, du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CNRS/Inserm/ Aix-Marseille Université).

« Le rôle de cette molécule n’était pas bien connu au départ, explique Pierre GOLSTEIN au « Quotidien », nous nous inscrivions dans une approche qui consisterait à identifier de façon systématique les molécules impliquées dans la cytotoxicité. Nous en avions découvert plusieurs, mais la subtilité de CTLA-4 est qu’elle ne faisait pas directement partie du mécanisme de cytotoxicité: elle le régulait. Cela n’a été compris que plus tard.

Huit ans plus tard, en 1995, 2 équipes américaines découvrent qu’en inactivant sélectivement le gène produisant CTLA-4, les lymphocytes T cytotoxiques sont suractivés. En 1996 l’équipe de James ALLISON expérimente le premier anticorps anti CTLA-4 et lève pour la première fois, grâce à un traitement, l’inhibition de la réponse immunitaire.

«Les anti-PD-1 ont connu le même parcours mais avec 5 ans de décalage », se souvient Pierre OLSTEIN. Le récepteur PD-1 est découvert en 1992 par l’équipe de Tasuku HONJO. Ce dernier tire parti du précédent créé par CTLA-4 et oriente tout de suite ses recherches vers la piste d’un anticorps capable de bloquer les PD-1.

 Ce prix souligne à quel point la recherche fondamentale est essentielle pour avoir des avancées en médecine

Pr Christine Chomienne directrice du pôle recherche et innovation de l’InCa. 

Après les premiers essais chez la souris en 1994, les premières études cliniques de l’anti CTLA-4 sont rapidement entreprises chez l’homme.

En 2010, une grande étude de phase 3 montre l’effet de l’ipilimumab dans le mélanome. Les anti PD-1 ont fait leurs premiers pas chez l’animal en 1996, et ont définitivement prouvé leur intérêt dans le mélanome métastatique et dans les cancers bronchiques non à petites cellules en 2012.

Des mécanismes d’action encore méconnus

Les 2 récepteurs n’ont pas encore livré tous leurs secrets. « Tout n’est pas totalement clair quant aux mécanismes qui expliquent leur action, précise Pierre GOLSTEIN. CTLA-4 agit vraisemblablement sur l’activation des cellules cytotoxiques et PD-1 sur la cytotoxicité elle-même. De plus, si l’on sait qu’ils ne sont pas totalement indépendants l’un de l’autre, ils agissent tout de même de façon différente ce qui permet de les associer pour les potentialiser et obtenir une synergie»

Rien que pour CTLA-4, pas moins de 3 mécanismes d’action sont envisagés pour expliquer la manière dont il exerce une inhibition sur l’activation de la cytotoxicité. Les chercheurs ont encore du pain

sur la paillasse.

Damien Coulomb

Des stratégies à l’essai pour aller plus loin

Quelles stratégies mettre en place pour améliorer l’efficacité des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (checkpoint)?

« Ces molécules récentes ont été qualifiées de révolutionnaires, explique le Pr Christophe LE  TOURNEAU, chef du département essais précoces à l’institut Curie. Pourquoi ce terme? Certains patients ont répondu si longtemps qu’on se demande s’ils ne sont pas guéris. Mais cela ne concerne qu’une minorité. Il faut faire mieux. »

Un constat prudent que tempère encore Sébastian AMIGORENA, directeur du centre d’immunologie des cancers à l’institut Curie. « Pour le cancer du poumon et le mélanome, les deux grandes indications pour lesquelles une réponse objective et forte a été obtenue, le taux de réponse est de 30 à 40 %, explique le chercheur.

Ces patients répondent en majorité à long terme, mais cela ne fait plus que 20-30 % sur l’ensemble des patients traités. Les associations de molécules permettent de faire mieux».

Combiner les traitements, c’est l’une des voies à l’essai aujourd’hui pour faire mieux que l’immunothérapie en monothérapie. Des milliers d’essais sont en cours pour des associations à la chimiothérapie, à la radiothérapie ou à la chirurgie.

«L’association d’inhibiteurs de checkpoint à la chimiothérapie a donné de bons résultats, notamment dans le poumon, explique le Pr Christophe LE TOURNEAU. Pour l’association à la radiothérapie, les essais sont en cours.

En ce qui concerne l’association des molécules d’immunothérapie entre elles, ce n’est pas extraordinaire: l’une d’entre elles s’est révélée efficace dans le mélanome mais au prix d’une forte toxicité et, quant aux autres, elles ne font ni pire ni mieux ».

Selon Sebastian AMIGORENA, il faut  également aller vers des immunothérapies d’autres types. «Aujourd’hui, on sait débloquer le système immunitaire, précise-t-il. Le raisonnement est maintenant de « pousser le moteur« . Deux nouvelles pistes sont à l’essai : l’association inhibiteurs de checkpoint + vaccin thérapeutique et celle inhibiteurs de checkpoint + CAR-T cells ».

Si ces derniers essais cliniques sont encore préliminaires, l’association aux traitements conventionnels est plus avancée et fait espérer une amélioration prochaine à la fois de l’efficacité et des indications des inhibiteurs de checkpoint, notamment aux stades plus précoces de la maladie.

Dr Irène DROGOU

Une révolution en cancérologie

« L’immunothérapie a radicalement changé le pronostic des patients », explique le Pr Fabrice ANDRE, directeur de l’unité Gustave Roussy-INSERM U981.

Elle permet pour la première fois à certains malades avec un cancer métastatique considéré incurable de voir leur survie prolongée.

Ces «progrès considérables », selon le chercheur, concernent en particulier le mélanome, le lymphome, le cancer du poumon ou encore le cancer du côlon MSI (instabilité des microsattélites).

« Ce changement à 180° dans la prise en charge de ces cancers fait écho au changement à 180° dans le concept du traitement: au lieu de cibler directement la tumeur, l’immunothérapie la vise indirectement, en restaurant le système immunitaire du patient », note le Pr Laurence ZITVOGEL, oncologue médical à l’Institut Gustave Roussy.

 «Le grand intérêt de cette stratégie est de déjouer la plasticité tumorale : la tumeur n’étant pas visée, elle développe beaucoup moins de résistances qu’avec les thérapies ciblées par exemple », observe le Pr Olivier ROSMORDUC, oncologue hépatique à la Pitié-Salpêtrière. En outre, l’effet du traitement sur l’immunité peut être observé plusieurs mois après l’arrêt de l’immunothérapie. Et là encore, c’est tout à fait nouveau.

 

Des résultats spectaculaires

Pour les cancers sensibles à ce type de thérapie, les résultats sont spectaculaires. Les premiers effets sont observés en 2010 dans le mélanome. HODI et col. testent alors l’ipilimumab chez des patients souffrant d’un mélanome métastatique. Cet anticorps monoclonal bloque le point de contrôle CTLA-4 (un récepteur situé à la surface des lymphocytes) et, avec lui, le frein de la réponse immunitaire.

Ce faisant, il provoque l’activation des lymphocytes et leur prolifération. La tumeur semble grossir. En fait, cette taille importante est due à l’infiltration des lymphocytes activés sur le site. S’en suit la mort tumorale.

Dans le « New England Journal of Medicine », l’équipe note une survie globale de 10,1 mois chez les patients sous ipilimumab contre 6,4 mois chez les patients recevant de la glycoprotéine 100 seule. L’ipilimumab reçoit sa première AMM dès l’année suivante.

Depuis, les «inhibiteurs de points de contrôle » ont été testés en monothérapie puis en combinaison dans un grand nombre de cancers, dans un grand nombre de cancers, dans des formes avancées comme dans des stades précoces. «Dans les cancers du poumon sensibles à l’immunothérapie – exprimant le PDL 1 et présentant le plus fort taux mutationnel – 43 % des patients n’ont pas de récidive après un an, commente le Pr Fabrice ANDRE.

Dans le mélanome avancé, la combinaison de nivolumab (anti-PD-1) et de ipilimumab (anti-CTLA-4) permet aux patients d’avoir une survie à 3 ans de 58 %. C’est colossal. »

 Cette combinaison n’est toutefois « pas exempte de toxicité, remarque le Pr ZITVOGEL.

Les lymphocytes T activés s’attaquent aussi à la peau, aux muqueuses, à la thyroïde… Ces effets secondaires peuvent être inhibés dès le départ du traitement à l’aide de corticoïdes. »

 

Pas tous les cancers, pas tous les patients

Pour « révolutionnaire » qu’elle soit, l’immunothérapie n’est toutefois pas égalitaire. Tous les cancers n’y répondent pas en effet, ni tous les patients.

Plusieurs conditions doivent être réunies : que l’immunité du patient soit en bon état, que la tumeur soit inflammatoire et qu’elle présente une forte charge mutationnelle (elle fabriquera ainsi régulièrement de nouveaux antigènes qui alimentent la réaction inflammatoire). « 80 % des lymphomes, presque 2/3 des cancers du côlon MSI et 30 à 40 % des cancers du poumon répondent à ces exigences », note le Pr Olivier ROSMORDUC. En revanche, le cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate ou encore de la thyroïde, très peu immunogènes et inflammatoires, sont  peu sensibles à l’immunothérapie.

Une des tendances actuelles est donc de rendre la tumeur immunogène, par radiothérapie, par exemple, afin que l’immunothérapie qui suit ait plus de chances d’être efficace.

Autre piste : le développement de tests qui permettent de repérer les patients susceptibles de répondre au traitement. «Il y a infiniment de possibilités thérapeutiques nouvelles avec ces produits. Nous sommes au tout début de l’histoire », conclut lePr ROSMORDUC.        

 

Sophie COISNE