De très nombreux facteurs ont été incriminés comme pouvant favoriser le cancer, sans preuve réelle. Au point que bon nombre de personnes estiment par exemple que les édulcorants, les déodorants, le stress, le téléphone portable, les antennes-relais… sont responsables des cancers. Mais les articles et informations sur Internet et les réseaux sociaux nous inondent de messages contradictoires sur ces facteurs environnementaux en lien présumé avec l’augmentation des risques de cancer.
Certaines informations infondées peuvent conduire à des inquiétudes inutiles, brouiller les messages de prévention des cancers, et même entraver nos décisions en matière de santé, pour soi-même ou notre famille.
Les sujets ne manquent pas et les débats sont salutaires. En effet, si les controverses peuvent être utiles dans le monde de la recherche, il est parfois difficile pour tout un chacun de distinguer, pour un facteur donné, une absence réelle de risque, une absence de connaissances concernant ce facteur, ou encore une suspicion qui nécessite de plus amples études. Ce chapitre aborde certains de ces facteurs et analyse l’information scientifique la plus récente sur les risques liés au téléphone portable, aux antennes-relais ou encore le lien entre stress et cancer.
LE CANCER AU BOUT DU MOBILE ?
Le téléphone portable et les antennes-relais ont transformé radicalement notre vie. Objet inconnu il y a 30 ans, le mobile est désormais au centre de notre existence, en particulier pour les plus jeunes. Outil de connexion mondial, il nous permet notamment d’être en relation les uns avec les autres, via de multiples réseaux. Mais il a aussi acquis des fonctions qui dépassent largement la simple communication entre personnes. Il est aujourd’hui omniprésent dans notre vie quotidienne, qu’il s’agisse de s’informer, d’acheter, de jouer, de prendre des photos et des vidéos, de partager des contenus et de faire des rencontres…
Tous les Français ou presque ont un téléphone portable dans leur poche, dans leur sac. Certains en usent ou en abusent toute la journée. Avec cependant des évolutions : les plus jeunes s’en servent le plus souvent non pas pour parler, mais pour s’écrire, s’envoyer des photos, faire des jeux, communiquer sur les réseaux sociaux…
Si l’engouement pour le portable n’a jamais été démenti, très vite s’est posée la question de ses éventuels risques pour la santé. Plusieurs grandes enquêtes épidémiologiques ont été lancées, avec globalement des résultats plutôt rassurants. La plupart des experts estiment que l’on est très loin d’avoir démontré un risque pour la santé, notamment le cancer. Mais il est très compliqué de démontrer qu’un risque n’existe pas. Le cancer étant une maladie qui se développe sur plusieurs décennies, le recul reste insuffisant pour savoir si, dans 10 à 30 ans, des risques non observés actuellement apparaîtront.
Pas de risque, selon la plus grande étude sur ce sujet En 2011, le British Medical Journal publie une vaste enquête danoise portant sur plus de 300 000 personnes et estimant que le téléphone portable n’augmente pas le cancer du système nerveux central.
Ces conclusions sont cependant en contradiction avec la position du CIRC, qui a évalué quelques mois auparavant les radiofréquences (champs induits principalement par les téléphones portables et les antennes-relais) comme peut-être cancérogènes pour l’homme pour le risque de gliome, un type de cancer du cerveau.
Cette étude présente la particularité d’avoir été menée selon une méthodologie originale. Au Danemark, dès la naissance, chaque individu se voit attribuer un numéro d’identification personnel utilisé sur tous les registres, permettant de rendre anonyme une série d’informations.
Ainsi, les chercheurs danois ont pu, sur une période donnée, recouper en partie le fichier des personnes atteintes de cancer du cerveau avec celui des abonnés au téléphone portable et celui de ceux qui n’ont pas de mobile.
Ce travail, mené par l’équipe de Patrizia Frei (Société danoise du cancer), a prolongé jusqu’en 2007 une enquête antérieure qui s’était arrêtée en 2002 et qui avait déjà mis en évidence une absence de risque de cancer du système nerveux central lié à l’usage du mobile. Les nouvelles données offrent un échantillon beaucoup plus large d’utilisateurs. Sur les 358 403 personnes inclues dans l’enquête de 1990 à 2007, on a dénombré 10 729 cas de tumeurs du système nerveux central — 5 111 chez des hommes et 5 618 chez des femmes — mais à peu près autant chez les abonnés que chez les non-abonnés. Plus précisément, le nombre de gliomes et de méningiomes (les principales tumeurs du cerveau) était similaire chez les abonnés et chez les autres, avec des variations « non significatives ».
Les risques liés à de très longues durées d’utilisation restent inconnus.
Interphone, une étude qui a semé le doute
Mais revenons à la position du CIRC. Quelques mois auparavant, en 2010, la publication d’une étude dans l’International Journal of Epidemiology intitulée Interphone, aux conclusions ambiguës, avait conduit l’institution à classer, comme nous l’avons dit précédemment, les radiofréquences comme peut-être cancérogènes pour l’homme pour le risque de gliome. Cette étude, dont les résultats avaient longuement été débattus entre experts avant d’être rendus publics, avait en effet suggéré qu’un risque accru de gliome pouvait être peut-être lié à l’usage du téléphone portable pour les utilisations importantes.
Par conséquent, même si globalement elle concluait de manière rassurante à l’absence de risque accru de cancer pour les utilisateurs de portables, elle ne mettait pas un point final au débat.
Lancée par le CIRC, en 2000 dans 13 pays (Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Israël, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Suède), cette enquête, reposant sur la méthodologie dite cas-témoins, visait à rechercher une éventuelle relation entre l’usage du mobile et les tumeurs, du cerveau (gliome, méningiome), du nerf acoustique (neurinome de l’acoustique) et de la glande parotide (salivaire). En pratique,il s’agissait dans cette étude d’interroger des malades atteints de ces cancers sur leur temps passé le portable à l’oreille et de comparer leurs réponses avec celles de témoins en bonne santé. L’enquête avait porté sur 2 708 personnes souffrant de gliome et 2 409 souffrant de méningiome, 1 100 atteintes de neurinomes de l’acoustique et 400 personnes concernées par une tumeur de la glande parotide.
Globalement, Interphone faisait apparaître un risque de gliome de 40 % supérieur et un risque de méningiome de 15 % supérieur pour les personnes déclarant l’utilisation la plus importante de leur téléphone portable. Cependant, du fait des difficultés méthodologiques, les auteurs estimaient que ce risque relativement faible était loin d’être avéré. Les biais et les erreurs limitaient la force des conclusions et empêchaient d’établir un lien causal entre portable et cancer. En effet, les études épidémiologiques de type cas témoins, visant à comparer les expositions de malades et de témoins, peuvent avoir un biais parfois difficile à maîtriser. En effet, les personnes malades ont tendance à vouloir se souvenir dans le détail de leur comportement passé (ici l’usage du portable) pour tenter de comprendre leur maladie. Les témoins eux ont beaucoup plus de distance. Autant de biais possibles de sélection des participants et de mémoire…
Par ailleurs, les résultats divergeaient selon les pays.
Ainsi, le risque accru de gliome n’était pas observé partout. Les résultats en Israël faisaient apparaître une augmentation du risque pour les tumeurs de la glande parotide, que l’on ne retrouvait pas forcément dans d’autres pays… À l’époque, le directeur du CIRC, le Dr Christopher Wild, avait estimé que les données d’Interphone ne permettaient pas de mettre en évidence un risque accru de cancer cérébral. Mais le groupe de travail était dans une situation inconfortable et il a conclu que ces résultats ne pouvaient pas être pour autant repoussés d’un revers de la main. Et qu’un lien de causalité entre l’exposition aux téléphones portables et le gliome ne pouvait pas être écarté. La même conclusion a été tirée en ce qui concerne le neurinome de l’acoustique malgré un nombre de cas nettement inférieur par rapport au gliome.
En ce qui concerne le méningiome, les tumeurs de la glande parotide, la leucémie, le lymphome et autres types de tumeurs, le groupe de travail a jugé les indications disponibles insuffisantes pour arriver à une conclusion. En se fondant sur ces indications limitées chez l’homme et des données également chez l’animal de laboratoire, le groupe de travail du CIRC a classé les expositions aux téléphones portables « peut-être cancérogènes pour l’homme ». Le CIRC notait en outre que des recherches complémentaires devaient être menées sur l’utilisation intensive à long terme du téléphone portable.
L’absence de mesures individuelles des expositions et les difficultés méthodologiques des études disponibles plaident encore pour des conclusions prudentes. Aussi, les analyses de tendances chronologiques n’ont pas montré d’augmentation du taux de tumeurs du cerveau suite à l’augmentation de l’utilisation du téléphone portable.
Les conclusions du C1RC rejoignaient celles déjà émises par l’Anses75 dans son rapport de 2009 et reconfirmées lors de la mise à jour de 2013. L’analyse critique des études antérieures, évaluant l’éventuel lien entre l’exposition au portable et les différents autres cancers, n’avait pas permis de conclure. Entre autres, les données issues de la recherche expérimentale disponibles n’indiquaient pas d’effets sanitaires à court terme ni à long terme de l’exposition aux ondes de radiofréquences. Celles-ci n’exerçaient ni effet perturbateur sur les grandes fonctions cellulaires, ni stress sur les cellules. Elles n’auraient pas non plus d’effet génotoxique à court ou à long terme, ou mutagène.
Des interrogations demeuraient cependant pour les effets à long terme, même si aucun mécanisme biologique analysé ne plaidait actuellement en faveur de cette hypothèse. Ces conclusions auront été confirmées, quatre ans plus tard, lors de la mise à jour du rapport de l’Anses.
Des signes de dangerosité qui se font toujours attendre
Les téléphones portables et les antennes de téléphonie mobile ont connu un développement exponentiel en quelques années, à partir de la fin des années 1990, et cela partout dans le monde. Selon les experts, si un évènement sanitaire majeur était lié à l’explosion de cette technologie, des signaux épidémiologiques seraient sans doute apparus 20 ans plus tard. Pour l’instant, aucune augmentation d’un type de cancer en particulier n’a émergé depuis cette époque, qui pourrait être en lien avec ce phénomène de société majeur. Mais une fois de plus, la prudence s’impose. Dans le cas du mésothéliome, cancer de la plèvre lié à l’amiante, on sait aujourd’hui que la maladie peut apparaître 30 ou 40 ans après l’exposition.
De manière générale, les autorités, par principe de précaution, recommandent pour les adultes utilisateurs intensifs de téléphone mobile (en mode conversation), de recourir au kit mains libres et de façon plus générale, pour tous les utilisateurs, de privilégier l’acquisition de téléphones affichant les DAS les plus faibles (les indices de débit d’absorption spécifique, qui mesurent l’émission
maximale de radiofréquence faite par un téléphone portable) et de réduire l’exposition des enfants en incitant à un usage modéré du téléphone mobile. Des campagnes de sensibilisation et d’information des publics ont été mises en place par le ministère de la Transition écologique et solidaire pour encourager l’adoption de comportements de bon sens dans l’usage du téléphone portable ; ceux-ci devraient être plus largement relayés sur l’ensemble du territoire.
ET LES ANTENNES-RELAIS ?
Parlons justement de cette autre dimension de la téléphonie mobile que sont les antennes-relais. Une antenne-relais est un émetteur-récepteur de signaux radioélectriques pour les communications mobiles qui convertit des signaux électriques en ondes électromagnétiques et réciproquement. Il y aurait dans notre pays près de 70 000 antennes-relais réparties sur tout le territoire.
L’exposition aux radiofréquences des antennes-relais augmente-t-elle les risques de cancer ? Si cette question est légitime, elle donne lieu à des débats houleux.
La polémique a enflé au début des années 2000. Elle a atteint son apogée mi-2008 avec la condamnation judiciaire de Bouygues Télécom, l’obligeant à retirer une antenne-relais située à proximité d’habitations à Tassin-la-Demi-Lune, dans le Rhône, au motif de « l’angoisse ressentie » par les familles avoisinantes. Après cette décision juridique, une expertise scientifique approfondie a
été lancée sous la houlette de l’Afsset (l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, aujourd’hui Anses), expertise rendue publique le 15 octobre 2009, puis mise à jour en 2013 et en 2016, sans changement majeur.
Les conclusions du groupe de travail sont plutôt rassurantes, même si elles recommandent de continuer à mener des recherches scientifiques sur ces sujets complexes qui concernent désormais toute la population.
Cette expertise estime que les données issues des recherches expérimentales disponibles n’indiquent pas d’effet sanitaire à court ou long terme lié aux émissions d’ondes de radiofréquences. Les données épidémiologiques n’indiquent pas non plus d’effets à court terme de l’exposition aux radiofréquences. Des interrogations demeurent pour les effets à long terme et nécessitent des
études approfondies avec des effectifs suffisants et des protocoles de qualité.
Les recherches scientifiques concernant les dangers des ondes de radiofréquence et, plus particulièrement, des antennes-relais et des téléphones portables, sont basées sur des travaux biologiques expérimentaux, en laboratoire, sur des recherches cliniques chez l’homme et l’animal, et enfin sur des enquêtes épidémiologiques.
Pour ce qui est des effets biologiques et cliniques, le rapport soutient d’abord que « l’observation d’un effet biologique, a fortiori en conditions expérimentales, ne signifie pas forcément qu’il entraîne un dommage, et encore moins qu’il se traduise par un effet sur la santé ».
Sur les 182 études réalisées chez l’animal, 82 mettent en évidence des effets biologiques des radiofréquences, mais seulement 11 % de ces travaux utilisent une méthodologie incontestable. En revanche, parmi les 100 études ne trouvant pas de risque, 69 % sont incontestables. Difficile cependant de s’y retrouver.
De manière plus globale, il ressort que sur le plan biologique et clinique, les radiofréquences supérieures à 400 MHz (c’est-à-dire celles émises par les antennes-relais et captées par les téléphones portables), ne modifient pas les grandes fonctions cellulaires telles que l’expression des gènes, ne sont pas un facteur de stress pour les cellules, n’ont pas d’effet mutagène, n’augmentent pas l’incidence des cancers, ne les aggravent pas, n’ont pas d’effet délétère sur le système nerveux, n’ont pas d’effet susceptible de modifier le système immunitaire, n’ont pas d’impact sur la reproduction…
Malgré ces constatations rassurantes, les antennes-relais continuent à effrayer la population, même si le temps passant, à ce jour, aucune preuve d’une augmentation du risque de cancer n’a été mise en évidence.
Compte tenu de ces éléments, il n’apparaît pas fondé, sur une base sanitaire, de proposer de nouvelles valeurs limites d’exposition pour la population générale.




