2018 année noire pour les associations et les fondations, en particulier pour celles qui interviennent dans la recherche médicale et l’action humanitaire : les dons ont chuté en moyenne de 10 %, et de 50 % pour ceux éligibles à l’ISF. Mais l’enquête du « Quotidien» montre que cette crise conjoncturelle liée à la fiscalité en cache une autre, structurelle. Une nouvelle culture philanthropique se profile. Elle mobilise patrons et gouvernement pour trouver une sortie de crise.

Les responsables des associations et fondations sont unanimes pour imputer la chute sans précédent des collectes et des dons aux réformes fiscales mises en oeuvre l’an dernier.

• « Je suis sincèrement désolé, mais avec la hausse de la CSG sur ma pension, je suis obligé d’arrêter les prélèvements automatiques en votre faveur. » De tels messages, en provenance de retraités qui représentent 60 % des donateurs, les associations en ont reçu par centaines l’an dernier. Le résultat fait de 2018 une année noire pour la générosité.

Dans l’attente des chiffres définitifs que le syndicat France Générosités publiera fin mars, l’enquête du « Quotidien » dévoile les premières tendances : -20 % pour la Fondation de France (110 millions en moins dans les caisses), -12 % à la Ligue contre le cancer (5 à 6 millions), -12 % à l’Institut Pasteur (3 millions), -10 % au Sidaction, -9 % pour la Fondation pour la recherche médicale, -8 % pour l’AFM (5 millions), -4 % pour MSF (1,5 million), -10 % pour Handicap international. Médecins du Monde est la seule association à avoir amorti le choc dans les derniers jours de l’année, clôturant avec une hausse de l % de sa collecte, mais 2 points en dessous de ses objectifs.

 

Moins 2 milliards d’euros…. La collecte des particuliers accuse une baisse de 10 %, à laquelle il faut ajouter 150 millions en moins ( – 54 %)pour les dons ISI.

« On est sous l’eau ! »

« Historique », « du jamais vu », « on est sous l’eau! », « c’est consternant ! », commentent l’ensemble des responsables, unanime à pointer du doigt la hausse de la CSG pour expliquer un tel décrochage de la collecte.

«Les Français ne sont pas moins généreux, mais pour donner, ils doivent d’abord se sécuriser eux-mêmes et la hausse de la CSG a fragilisé cette catégorie majoritaire des donateurs modestes que sont souvent les retraités », observe Nathalie Blum, directrice du Comité de la Charte. «On s’attendait à un bilan dur, étant donné la forte dépendance liant les dons au système fiscal, mais pas à un point pareil,  avoue Marie Charlotte Brun à la Fondation pour la recherche médicale. Pour les dons déductibles de l’impôt sur la fortune, nous plongeons à -43 %. » .

Si la hausse de la CGS a impacté les petits donateurs, le passage de l’ISF à l’ISI, en réduisant de 350 000 à 150000 le nombre des assujettis qui pouvaient réduire leur imposition de 75 % du montant de leurs dons, a occasionné des dégâts collatéraux parmi les gros donateurs. Les caisses des fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), en particulier pour celles qui interviennent dans la recherche médicale, tel l’Institut Pasteur, enregistrent un effondrement à – 50 %.

 Si la tendance ultra-baissière est générale pour les gros comme pour les petits, elle est amortie différemment, selon la part tirée de la collecte privée, des bailleurs institutionnels (Etat, région, Union européenne) et celle du mécénat (dons des entreprises), ces deux derniers financeurs étant moins impactés que les premiers.

À Handicap international, avec 55 % du budget qui vient de Bruxelles, on fait face, note Xavier du Crest.

A l’opposé, 99 % des ressources de MSF proviennent des particuliers, 80 % à MDM. Cette indépendance fragilise. Quant aux structures locales, elles pâtissent de la suppression de la réserve parlementaire qui les alimentait souvent.

Menaces sur les programmes

 « Toutes les associations ont anticipé le choc pour ne pas compromettre les programmes engagés, indique Frédéric Théret (Fondation de France). Mais elles sont aujourd’hui à l’os. »« Les legs et ce que l’on appelle les libéralités permettent encore de faire face, note Sylvie Morin-Miot à MSF. Les fonds propres, même réduits à la portion congrue par les dispositions réglementaires, aident aussi à tenir. » Aucun programme de recherche ne devrait donc être stoppé en 2019, ni à HI, ni à Pasteur, ni à la Ligue, ni à l’AFM grâce à des gestions dites de bon père de famille. «Mais il y a urgence à remplir la baignoire cette année, alerte Xavier du Crest, sous peine de devoir tailler dans les investissements dès 2020. »

 «L’heure est à la solidarité entre associations, sans esprit de compétition, se félicite Pierre Siquier, le président de France Générosités, le syndicat qui regroupe 97 associations et fondations. Nous avons mené ensemble des opérations de lobbying auprès des parlementaires tout au long de l’année 2018, et nous avons obtenu quelques aménagements de la loi de finances, comme l’acompte de 60 % sur les dons effectués l’année n-1, versé dès le 15 janvier. » Mais le contexte fiscal de 2019 n’est pas de bon augure. «Le prélèvement à la source (PAS) entretient une ambiance anxiogène chez la plupart des foyers fiscaux, relève Marie Charlotte Brun à la Fondation pour la recherche médicale. Le PAS met du flou et de la confusion chez beaucoup de contribuables qui préfèrent surseoir, que ce soit pour les actes de consommation ou de générosité. » Et les incertitudes sociales et politiques dans l’effervescence des « Gilets jaunes » n’arrangent rien. « Nous affrontons une situation de crise qui crée un paradoxe, observe Frédéric Théret (Fondation de France) : la crise réduit les dons au moment où, justement, ils sont encore plus indispensables pour répondre aux besoins. »

Pacification fiscale

 « Pour autant, nous ne sortirons pas des impasses budgétaires en faisant appel à l’argent public mais par la générosité du public », estime Christophe Leroux (Ligue contre le cancer).

Si ce sont bien des mesures fiscales qui ont plombé 2018, ce ne sont pas d’autres mesures fiscales qui sauveront 2019, jugent les responsables des associations. « Les réformes en ce domaine nourrissent la confusion et l’attentisme et attisent la crainte d’une perte de pouvoir d’achat, insiste le Dr Jean-François Chambon (Institut Pasteur). Tout ce que nous demandons aux pouvoirs publics, c’est de nous garantir une pacification fiscale car c’est l’incertitude qui brouille la donne et réduit les dons. »

 « Des mesures gouvernementales sont cependant souhaitables, estime Xavier du Crest, en particulier pour favoriser les legs, mais la crise que nous connaissons doit favoriser la prise de conscience du public comme des pouvoirs publics de notre rôle, à la fois comme acteurs du lien social et comme secteur économique à part entière ».

« La suite ne sera pas que fiscale, souligne le président de France Générosités, elle passera par une nouvelle culture du don et de la philanthropie à la française. » Un nouveau modèle qui reste à dessiner.

Trop d’impôts, trop de taxes, trop d’incertitudes