Quotidien du médecin hebdo, numéro 9967 , vendredi 16 décembre 2022, et numéro 9970, vendredi 27 janvier 2023
La Haute autorité de santé s’est (enfin) rangée aux côtés des sociétés savantes de cancérologie et de radiologie en se déclarant favorable à l’expérimentation du dépistage organisé du cancer du poumon en France.
C’était un revirement important. Six ans après avoir estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour proposer un dépistage systématique aux fumeurs et anciens fumeurs, la Haute autorité de santé (HAS) a finalement ouvert la porte au dépistage du cancer du poumon en février 2022.
Le débat est vif en France, où le cancer du poumon entraîne près de 35 000 décès chaque année. À la suite des résultats positifs de l’étude américaine NST et de son équivalent belgo-néerlandaise Nelson, plusieurs expérimentations locales ont été entreprises, en Corse, en Île-de-France et dans la Somme. La fédération nationale des médecins radiologues (FNMR), le syndicat des médecins pneumologues et le syndicat national des radiothérapeutes oncologues, ont annoncé en novembre être en discussion avec les mutuelles pour lancer leur propre expérimentation.

Jusqu’à son avis de février 2022, la HAS s’appuyait sur une méta-analyse réalisée à sa demande, montrant que les études ne mettaient pas toutes en évidence une diminution significative de la mortalité par cancer du poumon à 10 ans et ne retrouvaient aucune diminution significative de la mortalité toute causes.Dans un avis publié en mars 2021, l’Académie Nationale de Médecine avait jugé qu’il était encore prématuré de recommander l’utilisation du scanner thoracique faible dose dans le cadre d’un dépistage organisé du cancer du poumon.
Scanner thoracique à faible dose :
La HAS a révisé sa position de 2016 à la suite d’une nouvelle étude de la littérature. « Les auteurs ont rapporté que le dépistage du cancer broncho-pulmonaire par tomodensitométrie à faible dose chez les personnes ayant un risque augmenté de ce cancer, réduit la mortalité spécifique de celui-ci », explique l’HAS. « Ainsi, avec la mise en place d’un dépistage systématique chez les populations fortement exposées au tabac, on pourrait observer une diminution significative de la mortalité spécifique de ce cancer, de l’ordre de cinq vies sauvées pour 1000 personnes dépistées ».
Aucun impact n’a toutefois pu être démontré sur la mortalité globale.
Cette diminution de la mortalité par cancer était liée à la détection de davantage de cancers avant l’arrivée au stade IV, dont la survie à cinq ans n’est que de 4 %. Le risque de réaliser à tort un bilan diagnostic invasif en raison d’un faux positif de dépistage, était peu élevé, de 01 à 1,5 % avec un taux de complications faible de 01 à 1,3 %.
La HAS recommande de considérer un certain nombre de questions avant de lancer le programme pilote : population cible, quantification du tabagisme chez les fumeurs et les ex fumeurs, voir les fumeurs passifs, articulation du dépistage et du sevrage tabagique, définition des nodules pulmonaires etc.
Ensuite le programme pilote devra répondre à plusieurs questions de santé publique :
- une prise en charge thérapeutique précoce et efficace permettra-t-elle d’améliorer la qualité de vie ?
- La charge financière de la maladie va-t-elle diminuer et quel rapport coût / efficacité du dépistage ?
- Quel est le risque associé à la répétition des examens ?
- Sans oublier les aspects éthiques et sociétaux liés aux disparités territoriales..

La Haute autorité de santé s’est déclarée disposée à lancer des expérimentations pilotes, leur gestion opérationnelle a été confiée à l’Inca. On propose l’échéancier prévisionnel suivant : cahier des charges à réaliser en 2023, lancement des appels d’offres en 2024, début des expérimentations pilotes en 2025 (une quinzaine environ sur tout le territoire français), fin des expérimentations pilotes en 2030, évaluation, synthèse et dépôt auprès du ministère de la santé en 2030–2031.
En attendant la plupart des pneumologues et des généralistes proposent un dépistage individuel aux personnes à risque selon le schéma suivant : dépistage proposé chez les patients âgés de 50 à 74 ans, fumant ou ayant fumé (sevrage inférieur ou égal à 10 ans) plus de 15 cigarettes par jour pendant au moins 25 ans, ou plus de 10 cigarettes par jour pendant au moins 30 ans. Ce dépistage repose sur la réalisation d’un examen tomodensitométrique (scanner) thoracique à faible dose d’irradiation, sans injection de produit de contraste. L’examen par radiographie thoracique standard n’a aucune place dans ce cadre. Il est recommandé deux examens tomodensitométriques espacés d’un an, puis un tous les deux ans.